Certains
sont des inconditionnels des clubs de rire. D'autres s'en méfient et trouvent
cela ridicule. Qu'en dit aujourd'hui la science ?
Les études de psychologie positive nous démontrent
depuis une vingtaine d'années l'importance et les bienfaits des émotions
positives pour notre épanouissement.
Alors que depuis Freud, et pendant cent ans, la
psychologie ne s'est intéressée qu'à nos pathologies, souffrances et
dérèglements divers, la psychologie positive, créée à l'initiative du
psychologue américain Martin Seligman en 1998, rectifie ce biais en nous aidant
non seulement à quitter le monde pathologique mais à aller plus loin qu'un
monde dit "normal" en ambitionnant de nous épanouir pour être plus
heureux.
C'est dans ce panorama que se sont développés le
yoga du rire apparu en Inde en 1995 créée par le Dr Madan Kataria et la
rigologie que j'ai développée en France en 2002 conseillée par le neurologue Henri
Rubinstein.
Si ces deux disciplines peuvent sembler similaires
aux yeux des néophytes elles sont en fait subtilement différentes et n'ont pas
durablement les mêmes effets sur nous.
Le yoga du rire a pour objectif de nous aider à retrouver
le goût de rire et pour cela propose des exercices physiques de mimes et de
respirations qui associés à des jeux, des chants et des danses vont nous permettre
de relancer le rire en nous. Et cela fonctionne. En tous cas sur le moment. Si
vous fréquentez pendant plusieurs mois ou années un club de yoga du rire, vous
allez vous sentir, pendant cette période, plus gai, dynamique, optimiste et
énergique. Vous serez en meilleure santé et votre système immunitaire sera
boosté.
Le yoga du rire nous reconnecte à notre rire. Mais
seulement le temps de séances régulières.
Mais si vous cessez d'aller au club de yoga du
rire, au bout que quelques semaines ou mois, vous ne ressentirez plus ces
bénéfices, voire même vous pourrez être atteints d'une baisse de moral
semblable à un baby blues lié à la chute du cocktail d'hormones du bien-être
que vous étiez habitué à créer à chaque séance : endorphines, sérotonine, ocytocine
et dopamine.
Si vous êtes confronté à une difficulté de vie
comme un divorce, une maladie ou un deuil, vous pouvez aussi ressentir un
mal-être supplémentaire à la cause initiale, une sorte de porte-à-faux lié à
une culpabilité souvent inconsciente de ne plus être gai et rieur comme avant. En
vous souvenant du bonheur ressenti pendant les séances de rire, vous aurez
envie de vous reconnecter à votre rire dès que possible, entre deux moments
douloureux, mais cela pourra manquer d'authenticité et finalement vous pousser
à vous sentir mal.
Car la limite du yoga du rire est alors atteinte.
En nous proposant exclusivement de nous reconnecter à notre rire, il occulte
toutes nos autres émotions. Pire : il suggère, lorsque l'on est triste ou en
colère, de rire pour évacuer ces émotions afin de se sentir mieux. Mais si le
rire permet de lutter très efficacement contre le stress en nous détendant, il
est déplacé pour régler en profondeur un problème de colère ou de tristesse
qu'il risquerait alors de masquer ou de nous pousser à dénier.
Une vie exclusivement "positive"
a-t-elle du sens?
La rigologie est née de plusieurs questionnements
: comment se fait-il que certaines personnes participent à une séance de yoga
du rire et ne rient pourtant pas, même au milieu d'un groupe au rire
contagieux? Comment se fait-il que lorsque l'on cesse d'aller au club on aille
aussi mal voire plus mal qu'avant d'y être allé? Ne peut-on devenir autonome et
capable de continuer à générer son rire en dehors des séances? Comment se
fait-il que les animateurs les plus motivés, animant plusieurs séances par
semaine, aient dans un premier temps une humeur extrêmement enthousiaste mais
retombent parfois épuisés au bord du burn-out ensuite? Pourquoi l'entourage de
certains animateurs dynamiques se méfie et n'adhère pas facilement à leur
nouvelle passion?
Une petite voix revenait sans cesse en moi :
"Cela peut-il être aussi simple? Suffit-il de rire pour tout régler?
Pourquoi, à travers l'histoire, aucun courant philosophique ne préconise-t-il
le rire systématique?"
La question de l'authenticité me taraudait aussi :
Peut-on vraiment rire de tout, tout le temps? Je sais bien que Desproges
répondait : "Oui mais pas avec tout le monde" mais cette réponse
n'arrivait pas à me convaincre d'autant plus, qu'autour de moi, certaines personnes pratiquaient
un humour systématique, parfois mal à propos, et voyaient leur vie chamboulée
avec de graves maladies qu'ils se refusaient de prendre au sérieux ou des divorces
pour cause de manque de dialogue sincère.
Bref, il m'apparut évident que l'on ne pouvait pas
tout simplement décider de ne choisir que les émotions agréables sous prétexte
qu'elles sont plus plaisantes à vivre que les désagréables. La vie se doit-elle
d'être simplement jouissive ou peut-on la vouloir authentique, juste et pleine
de sens même si cela implique de passer aussi par des moments douloureux? Le
bonheur est-il l'absence de douleur et ne peut-on être heureux en traversant et
dépassant des épreuves?
La quête systématique du bonheur est-elle contre-productive?
La rigologie propose de s'intéresser davantage à
la "joie de vivre", qui est une véritable émotion, qu'au "rire",
qui peut être l'expression de la joie mais aussi de l'angoisse (rire nerveux),
de la peur (rire jaune) ou même d'une tristesse masquée (faux rire). Et pour
atteindre durablement et de manière régulière et autonome cette joie de vivre
authentique, il apparait que la solution juste est, dans un premier temps, d'apprendre à ressentir et nommer l'ensemble
de nos émotions. Puis d'accepter absolument toutes nos émotions sans jugement
et les laisser s'exprimer, c'est-à-dire "sortir de nous" (et pas obligatoirement
"entrer dans les autres"…) afin de reconquérir une fluidité permettant
l'expression de notre joie de vivre sincère.
Cette démarche de la rigologie est aujourd'hui confirmée
par les travaux de psychologie positive, notamment ceux de la psychologue June
Gruber, professeure adjointe au département de psychologie et neurosciences de
l'Université américaine du Colorado, qui s'intéresse aux « inconvénients
potentiels des sentiments positifs ».
Grâce à ses recherches, June Gruber a découvert
que la poursuite du bonheur est de nature paradoxale car "plus nous
accordons la priorité au fait d'être heureux, plus nous risquons de nous
préparer par inadvertance à nous sentir malheureux et à risquer davantage de
problèmes de santé mentale". Par exemple, les personnes qui déclarent apprécier
le bonheur sont davantage exposées au risque de problèmes d'humeur, notamment
de manie et de trouble bipolaire dans les cas extrêmes. En revanche, ceux qui éprouvent une grande variété
d’émotions ont tendance à être en meilleure santé et plus heureux.
June Gruber et Jordi Quoidbach, professeur associé
à l'ESADE Business School de Barcelone, en Espagne, ont mené une étude qui
révèle que les personnes présentant une "plus grande diversité
émotionnelle" ont tendance à souffrir moins de problèmes de santé.
L'harmonie ne peut naitre que de l'acceptation de
tout ce qui est.
Tout comme il a été démontré qu'une grande
biodiversité terrestre accroît la résistance aux maladies, l'étude a révélé
qu'une plus grande "diversité" d'émotions éprouvées entraîne une
diminution du risque de dépression et une réduction du nombre de jours passés à
l'hôpital.
Ce que June Gruber résume en expliquant : "Cela suggère qu'il peut être préférable de faire l'expérience d'un large éventail d'émotions - positives (et) négatives - plutôt que de privilégier les émotions positives et de négliger les émotions négatives".
On se retrouve ici au cœur même de la rigologie qui propose d'apprendre à identifier et exprimer toutes nos émotions quelles qu'elles soient, sans aucun jugement critique et sans surtout vouloir en privilégier certaines considérées à tort comme plus "positives" que d'autres, sous prétexte qu'elles sont plus agréables à expérimenter.
Car la joie de vivre, authentique et durable, ne
peut venir que de l'harmonie émotionnelle équilibrée quotidiennement.
Finalement notre bonheur nait sans doute d'une
quête de sens, de justesse, d'authenticité, d'acceptation sans jugement de ce
qui est plutôt que de la volonté d'un monde tout positif se bidonnant à longueur
de journée.
Crédit :
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Corinne Cosseron, Présidente de l'Institut des
Sciences du Bonheur
Ressources :
Article excellent et puissant. Il corrige certains emballements contre-productifs. Il remet les choses en place. Bravo.
RépondreSupprimerjoel
joel@licciardi-formation.com